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Photo du rédacteurL'air de dire

L’amour sous confinement

Par Alphonse Fresne

J’ai d’abord eu peur, au début du confinement, de mourir célibataire. Toutes ces images de gens qui finissent à l’hôpital, et meurent sans pouvoir recevoir de visites, c’est terrible. Pour moi la hantise c’était de mourir sans avoir personne à réclamer. Heureusement, depuis, j’ai rencontré Eline. Sans accent, elle est hollandaise. On sort ensemble depuis trois semaines et on s’appelle tous les soirs après le boulot. La journée, aussi, on s’envoie des messages, avec plein de GIF. Enfin c’est elle surtout qui insiste avec les GIFs. Moi mon truc, c’est les Emoji. C’est comme ça que je l’ai séduite d’ailleurs. J’ai eu son numéro de téléphone en lui envoyant une liste d’Emojis.

On s’est rencontré sur Tinder. J’avais épuisé toutes les options autour de chez moi alors j’ai dû élargir mon cercle de recherche. J’ai un profil Gold, pour pouvoir swiper autant que je veux sans me demander si les filles me plaisent. Le physique, c’est pas le plus important de toute façon, et puis je ne suis pas difficile. Si je veux voir des belles filles, je vais sur Youporn. Depuis le début du confinement, j’ai fait défiler dix-sept mille deux cent quarante-trois profils. Enfin tout ça, c’est des détails de vie de couple. Je suis heureux qu’on soit ensemble malgré la distance. C’est pas simple de trouver “chaussure à son pied”. On a beau ne pas être difficile, c’est pas de sa faute si on a de grands pieds.

La semaine prochaine, nous fêtons nos deux mois. C’est un peu ridicule, je sais, de fêter ses deux mois, ça fait penser aux mamans qui fêtent les deux mois de leurs gosses comme s’ils n’allaient jamais avoir trente ans, mais j’ai envie de lui faire plaisir. J’ai prévu une surprise. En arrivant chez elle, je me cacherai sous le lit avec mon cadeau et jaillirai au moment où elle s’y attendra le moins. Pour que ça marche, il faut que ses colocs soient dans le coup pour m’ouvrir, et je ne les connais pas. Il faut aussi qu’elle soit allée au boulot ce jour-là et ne soit pas restée travailler de chez elle. Mais il faut surtout que le confinement soit levé à Paris parce que sinon, je ne pourrai pas sortir de chez moi.

Eline, elle habite à Utrecht, au dernier étage d’une maison charmante qui donne sur le Dom, avec un pignon à gradins en briques rouges et un Coffee Shop au rez-de-chaussée. Il parait que l’odeur de la beuh monte jusqu’à sa fenêtre et que c’est à cause de ça qu’elle s’est remise à fumer. Il y a des mouettes aussi qui viennent chier sur le rebord de sa fenêtre. Je lui ai suggéré d’installer des pics à oiseaux mais elle trouve ça moche. Alors elle continue d’essuyer les chiures de mouette tous les soirs. Pourtant, il n’y a pas la mer à Utrecht, j’ai vérifié, il y’a pas la mer du tout même. Y’a juste un pauvre un lac, une rivière, des canaux… Enfin c’est ça d’habiter dans un marécage poisseux et insalubre, faut pas venir se plaindre des mouettes après.

Il commence à peser sur notre couple, le confinement. Surtout sur moi. Parce qu’elle, à Utrecht, elle a le droit de sortir, d’aller au supermarché, de se balader dans le parc et de faire du vélo. Quand elle va rendre visite à des amis, je lui rappelle bien de garder un mètre et demi de distance, ou deux, disons pour arrondir, pour être sûr. Mais à chaque fois qu’elle sort, j’ai l’impression d’être un prisonnier qui voit son codétenu s’évader en faisant au revoir de la main. Elle a beau m’envoyer des vidéos des parcs bondés et des embouteillages à vélo pour me remonter le moral, moi ça me fait de la peine. Mais ce qui me fait le plus chier c’est qu’elle aille voir d’autres mecs sans que je puisse la retenir. Les femmes aussi, ça a des besoins, on peut pas leur en vouloir, mais ici à Paris on nous force à les satisfaire tout seul. C’est injuste.

Éline, elle adore Paris. Mais en ce moment, il ne se passe rien. Chez moi je n’ai même pas de vue sur la rue, juste sur une cour intérieure où il n’y a jamais personne. Je suis coincé dans mon appartement du quinzième avec mon coloc et son chien, un bulldog anglais absolument hideux qu’il ne sort jamais. Il a trop peur mon coloc que son chien attrape le virus et se transforme en zombi. Je lui ai expliqué moi que les chiens zombis, même dans les films ça n’existait pas, mais il a préféré écrire au Dr Raoult, et un type sur Twitter lui a confirmé que c’était dangereux. Depuis, il ne sort plus.

Ça fait deux mois que je vis dans des odeurs de pisse et d’excréments canins que ni mon coloc ni moi n’avons plus la force de nettoyer. Je lui ai expliqué pourtant à mon coloc, que j’avais une copine maintenant, et qu’Éline n’apprécierait pas de passer le weekend chez nous dans ces conditions, mais d’après lui les femmes adorent les chiens. Il a pas tort là-dessus. Alors je me suis mis à le dresser à coup de pied au cul, pour qu’il apprenne au moins à chier dans la salle de bain, et plus dans le salon.

Mes habits, mes cheveux, ma peau, tout chez moi commence à sentir le renfermé. Une odeur de chien mouillé dont je ne sais plus si elle vient de moi ou de lui. Pour ne pas me sentir seul je me parle devant la glace le matin et le soir, trente minutes à chaque fois. Et pour socialiser, j’ai créé un profil de femme sur Tinder avec des photos d’actrices. Je discute avec des hommes, certes, mais au moins eux me répondent. Quand je vois à quel point ils sont vulgaires et manquent de tact, je me dis qu’elle a quand même de la chance Eline d’être tombée sur moi, qu’elle le réalisera vraiment quand on se rencontrera, quand je ne serai plus confiné.

Alfonse Fresne

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